Publié le 03 juin 2024Lecture 5 min
Décroissance des traitements de fond dans la polyarthrite rhumatoïde : pour qui, quand et comment ?
Agnès LARA, Perpignan
L’idée de proposer une réduction de l’intensité des traitements de fond aux patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) en rémission prolongée est aujourd’hui de mieux en mieux acceptée. Le risque de rechute reste cependant bien présent. Alors quels traitements réduire ? De quelle façon ? Et à quels patients proposer cette décroissance ? Le Pr Bruno Fautrel (service de rhumatologie, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière) a fait le point sur ces questions lors du 36e congrès de Rhumatologie à Lille.
Grâce à l’évolution des traitements de fond, de nombreux patients arrivent aujourd’hui à la rémission, ou tout au moins à maintenir une faible activité de la maladie. Dès lors, la question d’un surtraitement de ces patients en rémission prolongée, sous traitement de fond et après arrêt des corticoïdes, se pose. Les résultats à 10 ans de l’étude BeSt montrent que, quel que soit le traitement de fond utilisé, une rémission sans traitement ne peut être obtenue que chez 10 % à 15 % des patients et que le risque de rechute est toujours présent pour la plus grande part d’entre eux, y compris ceux devenus négatifs à leurs auto-anticorps(1). D’autres études, comme IMROVE (infliximab, adalimumab) ou PRESERVE (étanercept), indiquent que la rémission ou la faible activité de la maladie peuvent être maintenues en réduisant l’intensité du traitement(2,3).
Quel traitement décroître ?
Faut-il d’abord réduire les biothérapies ? Le coût élevé de ces molécules et leur association à une augmentation du risque infectieux ont d’abord fait pencher la balance en ce sens. Mais selon les résultats de l’étude norvégienne ARTIK REWIND, la question se pose aussi avec les traitements synthétiques conventionnels(4). Cet essai multicentrique a montré que la rémission était maintenue à 36 mois chez plus de la moitié des patients sous méthotrexate à demie-dose (57 %) contre 80 % chez les patients sous traitement à pleine dose.
En cas d’association d’un traitement synthétique conventionnel à un anti-TNF, l’étude SEAM-RA menée aux États-Unis a montré que davantage de patients (49,5 %) maintenaient un faible niveau d’activité de la maladie (SDAI) à 48 semaines lorsque le méthotrexate (10-25 mg p.o/sem) était arrêté et que l’étanercept (50 mg/sem) était maintenu, par rapport à la stratégie inverse (28,7 %)(5). Il y avait peu de différence avec le bras qui maintenait les deux traitements à pleine dose (52,9 %). Autre résultat important de cette étude, lorsque ces patients rechutaient, la reprise du traitement permettait de récupérer une rémission ou une faible activité de la maladie dans 85 % des cas. « Ceux qui ne récupèrent pas sont probablement ceux qui auraient rechuté sous traitement à pleine dose » a commenté le Pr Fautrel. Les données de la littérature à plus long terme indiquent qu’il faut opter pour un traitement ciblé à mode d’action différents chez ces patients.
Comment décroître ?
Les études DRESS et STRASS, menées chez les patients sous anti-TNF (étanercept ou adalimumab), ont permis d’évaluer l’intérêt d’une stratégie d’espacement progressif des doses(6,7). Les patients inclus étaient en rémission ou présentaient une faible activité de la maladie sans corticoïdes (ou avec moins de 5 mg/j de corticoïdes) depuis au moins 6 mois à l’inclusion. À 18 mois, seuls 15 % à 20 % des patients étaient parvenus à arrêter totalement leur traitement de façon durable et 40 % à réduire leur dose. Cependant, le risque de rechute était globalement doublé en cas de stratégie de décroissance par rapport au maintien du traitement à pleine dose.
Des résultats similaires ont été obtenus avec des biothérapies à modes d’action différents (tocilizumab, abatacept, rituximab), ainsi qu’avec le baricitinib. À chaque fois, une perte d’efficacité a été observée à la réduction des traitements en termes de rechute ou d’activité de la maladie, même si la différence n’était pas significative sur le plan de la progression structurale. Une part non négligeable de patients parvenaient cependant à réduire leur dose.
À quels patients proposer une diminution de l’intensité du traitement ?
« Dans les essais, les réductions de traitement sont généralement démarrées après 6 mois de rémission ou de faible activité de la maladie, mais dans la vraie vie, il est préférable d’attendre 12 mois, d’autant que certaines études montrent que plus la rémission est profonde et prolongée et meilleures sont les chances de succès à l’espacement », a indiqué le spécialiste. Il faut expliquer aux patients qui veulent la tenter que l’arrêt n’est pas un objectif en soi, qu’en cas de rechute le traitement sera remis en place (généralement dernière dose atteinte avant rechute, sauf en cas de forte poussée) et que dans la plupart des cas le traitement sera à nouveau efficace. L’attitude doit être plus prudente dans les PR plus anciennes ou plus évoluées, même si dans l’étude STRASS ces patients semblent bien répondre et ne pas rechuter plus que les autres.
En conclusion
Il est possible de proposer une réduction de traitement aux patients en rémission ou ayant une faible activité de la maladie depuis au moins un an, après arrêt des corticoïdes (cf. Recommandations 2023 de la Société Française de Rhumatologie).
Cette stratégie de réduction de dose peut être envisagée quelle que soit la ligne de traitement, y compris en cas d’association de traitement, mais toujours en ne baissant qu’un médicament à la fois de façon à savoir lequel remontrer en cas de rechute.
Le risque de rechute est augmenté, mais il faut considérer qu’il existe aussi sous traitement à pleine dose en raison d’une érosion de l’efficacité sur la durée. Le fait que le retour en rémission soit obtenu dans la majorité des cas avec la remise en place du traitement à la dose antérieure ou à pleine dose est plutôt rassurant. Cependant, le bénéfice en termes de tolérance reste pour l’heure à démontrer.
Lorsque cette démarche est initiée, le spécialiste doit se mettre en capacité de revoir rapidement le patient en cas de nouvelle poussée, de façon à pouvoir réagir au plus tôt.
D’après la présentation du Pr Bruno Fautrel, Service de rhumatologie, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, au cours du 36e congrès de Rhumatologie au Palais des Congrès, Porte de Versailles, Paris
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